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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 18:00

Que leur faiblesse soit intrinsèque (mineurs, majeurs protégés) ou extrinsèque (consommateurs, salariés), souvent arrive-t-il que les faibles bénéficient en droit d'une protection renforcée. Cette protection se traduit parfois par l'adoption de dispositions spécifiques. Lorsqu'il est fait état du consentement des mineurs, on songe naturellement à certaines dispositions du code civil dont l'objectif consiste à prendre en compte leur consentement lorsque leur intérêt le commande(1) ou à protéger leur consentement en matière contractuelle(2). En ce qu'il s'efforce, non sans peine, au fil du temps de s'adapter à la spécificité du consentement des mineurs victimes d'infractions sexuelles, le droit pénal n'échappe pas à ce mouvement de protection.

 

Le consentement des mineurs aux infractions sexuelles s'appréhende différemment selon qu'il s'agit de réprimer les agressions sexuelles ou les atteintes sexuelles sans violence. Lorsque la constitution de l'infraction suppose l'absence de consentement de la victime, l'adhésion de cette dernière à l'acte fait disparaître un élément constitutif de l'infraction. Ainsi en va-t-il à titre d'exemple du viol(3) (C. pén., art. 222-23) ou des autres agressions sexuelles(4) (C. pén., art. 222-27). Partant, lorsqu'un mineur, au même titre qu'un majeur, prétend avoir été victime d'agressions sexuelles, la preuve de l'absence de son consentement est exigée.

 

Si l'on part du postulat selon lequel celui qui consent doit être à même de comprendre la portée de son acte, l'on comprend aisément que le consentement des mineurs ne saurait être, dans l'absolu, appréhendé de la même manière que celui des majeurs. Fustigé par une partie de la doctrine en raison des difficultés qu'éprouvaient les tribunaux répressifs à établir le défaut de consentement des mineurs, récemment, le régime des agressions sexuelles a été légèrement remanié par l'adoption de dispositions relativement plus souples dont la visée consiste à faciliter la preuve des agressions sexuelles perpétrées sur les mineurs. Et parce que les infractions sexuelles de droit commun s'avéraient inadaptées à la répression des faits incestueux, le législateur, par la loi du 8 février 2010, a incriminé l'inceste de manière autonome.

 

Cependant, les dispositions de cette loi ont été censurées par le Conseil constitutionnel à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité. Pour déclarer l'article 222-31-1 du code pénal contraire à la Constitution, le Conseil constitutionnel a affirmé que « s'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître, le principe de la légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille(5) ». Il incombe donc au législateur, s'il veut éviter la censure du Conseil constitutionnel, d'énumérer de manière exhaustive, les personnes qui peuvent être considérées comme auteurs d'inceste. Par ailleurs, s'il convient d'emblée de préciser qu'elles ne sont pas spécifiques aux infractions sexuelles, le code pénal prévoit certaines circonstances aggravantes qui tiennent soit à la minorité de la victime soit à la qualité de l'auteur des faits, lesquelles conduisent à augmenter le quantum de la peine.

 

L'immaturité ou le manque de discernement parfois afférents à la minorité conduisent logiquement à admettre que certaines catégories de mineurs ne sont pas en mesure, dans certaines hypothèses, de consentir librement à des relations sexuelles. C'est ainsi que dans le cadre des atteintes sexuelles sans violence, le consentement donné aux relations sexuelles par des mineurs de quinze ans (C. pén., art. 227-25) et ceux de plus de quinze ans à l'égard de leurs ascendants ou toute autre personne exerçant sur eux une autorité de fait ou de droit (C. pén., art. 227-27) ne constitue pas un obstacle à la répression puisque la preuve de l'absence de leur consentement n'est pas requise. Cette hypothèse ne saurait surprendre car, au-delà des atteintes sexuelles sans violence, le principe qui préside au droit pénal est celui de l'indifférence du consentement de la victime. Poursuivant davantage la satisfaction de l'intérêt général que celui des individus, le droit pénal ne peut dès lors qu'admettre un rôle limité au consentement de la victime(6). Par voie de conséquence, parce qu'il n'est pas un fait justificatif, le consentement des mineurs ne saurait constituer, en pareille occurrence, un frein à la répression.

 

Les dispositions protégeant les mineurs victimes d'infractions sexuelles, adoptées par couches successives, n'ont cessé de s'étoffer au fil du temps(7). La multiplication de ces dispositions autorise une interrogation : en a-t-on trop ou pas assez fait? En effet, en dépit de ces dispositions dérogatoires, des contrastes apparaissent cependant dans la protection du consentement des mineurs victimes d'infractions sexuelles, lesquels se dessinent en filigrane dans la preuve de leur consentement dans le cadre des agressions sexuelles (I), de sorte que l'on pourrait se demander s'il ne conviendrait pas de mettre en place une présomption d'absence de consentement des mineurs (II) ; ce qui conduirait dans la foulée à poser la question cruciale de l'inanité des atteintes sexuelles sans violence (III) dans cette nouvelle configuration.

 

I - De la preuve du consentement des mineurs victimes d'agressions sexuelles

 

L'une des critiques qui ont été souvent formulées à l'endroit des dispositions protégeant le consentement des mineurs dans le cadre des agressions sexuelles résultait de la difficulté à établir le défaut de consentement de ces derniers. Demeurant fidèle au principe de la légalité, la Chambre criminelle a pendant un certain temps refusé d'approuver la position de certains juges du fond qui, en s'efforçant de retenir l'exacte qualification des faits, déduisaient du jeune âge de la victime ou de l'autorité exercée par l'auteur des faits sur la victime l'absence de son consentement dans des hypothèses où cette absence de consentement devrait être établie par la contrainte(8). Cependant, pour logique qu'elle soit, en refusant de confondre éléments constitutifs et circonstances aggravantes, cette solution pèche par sa rigueur dans la mesure où il n'est pas toujours aisé pour les tribunaux répressifs de caractériser le défaut de consentement des mineurs de très jeune âge victimes d'agressions sexuelles en se fondant sur la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

 

Consciente de ces difficultés, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence en approuvant les juges du fond qui ont retenu que la contrainte ou la surprise résultait du très jeune âge des victimes, suffisamment peu élevé pour qu'elles ne puissent avoir une idée de ce qu'est la sexualité, ce « qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur sont imposés(9) ». Il résulte clairement de cette décision que la contrainte ou la surprise peut être déduite du très jeune âge de la victime. Cette solution ne pouvait être qu'approuvée car comme l'a lumineusement souligné un auteur : « la recherche de l'existence ou de l'absence du consentement de l'enfant est un non-sens. Il n'y a de consentement que lorsqu'il y a discernement(10) ».

 

La loi du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur des mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux devait être l'occasion privilégiée pour le législateur d'assouplir profondément le régime de la preuve du consentement des mineurs en suivant la voie empruntée par la Cour de cassation et en l'améliorant au besoin si bien que la censure de cette loi par le Conseil constitutionnel ne saurait éluder le débat. D'autant moins qu'il s'agit de l'imprécision de la loi sur les personnes pouvant être reconnues comme auteurs d'inceste qui a été censurée mais point les éléments constitutifs de l'infraction. Si cette loi concerne principalement l'inceste, il n'en reste pas moins que certaines de ses dispositions bénéficient à tous les mineurs victimes d'agressions sexuelles. En effet, l'article 222-22-1 du code pénal énonce que « la contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

 

Cependant, des incertitudes demeurent quant à l'application concrète de ce texte devant les tribunaux répressifs puisqu'on peut se demander si la contrainte morale suffira à établir l'absence de consentement des mineurs dans toutes les hypothèses d'agressions sexuelles. Cette loi prévoit que la contrainte « peut » être physique ou morale. Au regard de cette souplesse apparente, la tentation peut être grande d'estimer que les juges répressifs, pour établir le défaut de consentement des mineurs victimes d'infractions sexuelles, pourront fonder leur décision uniquement sur la contrainte morale ou physique. Mais pourra-t-on, par ailleurs objecter, qu'il n'est pas exclu au moment venu que les autres éléments constitutifs (violence menace ou surprise) soient requis pour caractériser le défaut de consentement des mineurs puisqu'ils font encore partie des textes d'incrimination. Devra-t-on pour les contourner recourir systématiquement à la contrainte morale pour caractériser le défaut de consentement des mineurs? On peut en effet douter que cette loi lève toutes les difficultés et rigidités qui émaillaient le régime précédent(11).

 

En clair, l'apport de cette loi dans la protection du consentement des mineurs victimes d'inceste reste modeste. Bien que ces dispositions s'attachent à assouplir la preuve du consentement des mineurs, il reste qu'elles accusent d'emblée une faiblesse qui remet en cause sa portée normative. Il suffit pour s'en convaincre de se reporter à la circulaire 9 février 2010 dont l'objectif consistait à préciser la portée de la loi du 8 février 2010. Elle prévoit à cet effet que « l'objectif essentiel est d'inscrire expressément la notion d'inceste dans notre droit répressif et de clarifier les textes applicables en la matière, sans pour autant modifier les pénalités existantes, qui sanctionnent déjà ces comportements de manière suffisamment sévère ».

 

S'agissant des atteintes sexuelles sans violence, le législateur se contente de leur conférer une qualification incestueuse sans en modifier la substance. Sans doute, ce choix est-il dicté par la volonté délibérée du législateur de faire échapper cette loi à l'application de la loi pénale dans le temps. Ce faisant, le législateur n'a voulu conférer aucun effet constitutif à cette loi. Pour une loi qui se veut protectrice, elle dénote des lacunes indéniables. On le voit, en matière de violences sexuelles commises contre les mineurs, « la frénésie législative, qui s'exprime par une succession de lois déclaratives et émotives, ne cesse d'ajouter du flou au flou(12) ».

 

À s'en tenir à l'énoncé de l'article 222-22-1 du code pénal qui vient assouplir la contrainte, il porte à croire que seule la contrainte, parmi les éléments constitutifs, posait des difficultés probatoires. En vérité, cette lecture reviendrait à accorder aux autres éléments constitutifs (violence, menace ou surprise) une souplesse qu'ils ne revêtent pas ; et de penser à l'inverse que la contrainte cristallise toutes les difficultés probatoires en la matière. C'est la structure même qui anime les agressions sexuelles commises contre les mineurs qui se trouve affectée de cette inflexibilité. Au surplus, selon les dispositions de cette loi, le caractère moral de la contrainte peut tenir à la différence d'âge qui existe entre l'agresseur et la victime sans poser de critères ou fournir d'indications dans l'appréciation de cette différence. À supposer que l'on s'en remette à la sagesse et la perspicacité des juges dans l'application de ces dispositions, on conçoit mal comment on pourra éviter des divergences d'appréciation sur cette différence d'âge entre les différents tribunaux.

 

Chemin faisant, il peut paraître, à certains égards, paradoxal que le législateur français s'attache à protéger des mineurs vivant à l'étranger sans se soucier de protéger efficacement ceux qui vivent sur son territoire. En apportant une dérogation au principe de territorialité de la loi pénale à l'article 222-22 al. 3 du code pénal, le législateur entend lutter contre, ce qu'il est convenu d'appeler, le « tourisme sexuel » pratiqué à l'endroit des mineurs à l'étranger par des ressortissants français ou des étrangers résidant habituellement en France. Rares sont en effet les affaires qui aboutissent en raison des difficultés probatoires qui tiennent au refus de certains pays de coopérer. Si la France en tant que patrie des droits de l'homme se doit de jeter un oeil protecteur sur des mineurs ne relevant pas de sa souveraineté, est-il nécessaire de rappeler au législateur que « la charité bien ordonnée commence par soi-même » ? Il ressort de là qu'avant même de tenter en vain de protéger des mineurs étrangers contre ses délinquants sexuels, le législateur français devrait d'abord penser à protéger plus efficacement les siens. Sans doute, la mise en place d'une présomption d'absence de consentement des mineurs permettra-t-elle d'y parvenir.

 

II - De l'opportunité d'une présomption d'absence de consentement des mineurs victimes d'agressions sexuelles

 

Au regard des difficultés à établir les éléments constitutifs des agressions sexuelles, il paraît plus qu'opportun, en raison de la spécificité de leur consentement, de poser une présomption d'absence de consentement des mineurs victimes d'agressions sexuelles. Un bref aperçu de certaines législations étrangères suffit à se convaincre de l'inadaptation des dispositions protégeant le consentement des mineurs en droit français. En effet, déjà préconisée par une partie de la doctrine française(13), la présomption d'absence de consentement des mineurs victimes d'infractions sexuelles existe à des degrés différents dans certaines législations étrangères. Une telle démarche en droit français présenterait l'insigne mérite de dispenser les juges répressifs de caractériser le défaut de consentement des mineurs en se fondant sur la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

 

Tout en retenant des seuils d'âges différents, certains pays comme l'Espagne, l'Allemagne, les États-Unis, la Belgique, l'Angleterre, le Danemark ou la Suisse posent une présomption d'absence de consentement des mineurs victimes d'infractions sexuelles(14). L'âge en deçà duquel un mineur est présumé ne pas pouvoir valablement consentir à une relation sexuelle est fixé à 12 ans en Espagne et selon la loi fédérale des États-Unis, 14 ans en Belgique et en Allemagne, 15 ans au Danemark et 16 ans en Suisse et en Angleterre. Dans ces législations, la violence, la menace, la contrainte ou la surprise ne sont guère requises pour prouver le défaut de consentement des mineurs.

 

En outre, la mise en place d'une présomption d'absence de consentement aurait la vertu d'éviter la fâcheuse confusion entre éléments constitutifs et circonstances aggravantes des infractions sexuelles(15). Afin d'échapper à la censure de la Cour de cassation, les juges du fond doivent motiver leurs décisions en établissant que les agressions sexuelles ont bien été perpétrées par violence, contrainte, menace ou surprise. Comme on vient de le voir, la Chambre criminelle est parfois amenée à sanctionner des juges du fond qui confondent éléments constitutifs des agressions sexuelles (menace, violence, contrainte ou surprise) et leurs circonstances aggravantes (l'âge de la victime ou la qualité de l'auteur des faits). L'intervention des éléments constitutifs et circonstances aggravantes dans la répression s'effectue par étape. En effet, l'aggravation de la peine doit venir se greffer sur la réunion préalable des éléments constitutifs(16). Or, la confusion à laquelle se prêtent éléments constitutifs et circonstances aggravantes existe aussi bien dans l'articulation des agressions sexuelles et les atteintes sexuelles qu'à l'intérieur de chacune de ces catégories d'infractions.

 

Lorsqu'on rapproche les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sans violence, on s'aperçoit curieusement que la minorité de la victime et la qualité d'ascendant ou de personne ayant autorité sur la victime figurent tantôt parmi les éléments constitutifs de l'atteinte sexuelle sans violence de l'article 227-27 du code pénal tantôt parmi les circonstances aggravantes du viol (C. pén., art. 222-24-2° et 4°) ou des agressions sexuelles autres que le viol (C. pén., arts. 222-28-2° et 22-29-1°). Encore convient-il de relever d'autres incohérences ou confusions possibles entre éléments constitutifs et circonstances aggravantes au sein même des atteintes sexuelles et des agressions sexuelles. Au demeurant, qu'est-ce qui justifie dans le cadre des atteintes sexuelles sans violence, que les qualités d'ascendant ou personne ayant autorité sur la victime soient érigées en circonstances aggravantes pour les mineurs de quinze ans (C. pén., art. 227-25 et 227-26-1°) et en éléments constitutifs pour les mineurs de plus de quinze ans (C. pén., art. 227-27) alors qu'il s'agit d'infractions de même nature(17)? Il en résulte que la frontière entre éléments constitutifs et circonstances aggravantes n'est pas toujours aisée à établir en matière d'infractions sexuelles.

 

Tout au plus est-on malheureusement porté à observer que, par manque d'ambition, ces incohérences et possibles confusions se vérifient également pour les dispositions de la loi du 8 février 2010 relative à l'inceste puisqu'elle se contente par renvoi de marquer ces mêmes dispositions au sceau de l'inceste(18). Au reste, la loi du 8 février 2010 relative à l'inceste confère aux juges la faculté de déduire la contrainte morale « de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Par quoi il faut comprendre que cette différence d'âge et l'autorité exercée par l'auteur des faits sur la victime participent, à l'évidence, des éléments constitutifs de l'infraction. Alors que, comme il a été souligné plus haut, l'âge de la victime et l'autorité de l'auteur des faits, au titre du viol et des autres agressions sexuelles, sont érigés en circonstances aggravantes. Ainsi conçues, les dispositions protégeant les mineurs victimes d'infractions sexuelles peuvent malencontreusement conduire à la superposition de données qui interviennent à des degrés différents et à des moments précis dans la chaîne répressive.

 

La répression des infractions sexuelles commises sur des mineurs peut radicalement changer de perspective. Très éclairante est à ce titre la législation espagnole dont le code pénal de 1995 prévoit que « tout acte de pénétration sexuelle commis sur un enfant de moins de 12 ans est un viol(19) ». Où l'on voit que la violence, la menace, la contrainte ou la surprise ne font guère partie des éléments constitutifs du viol. Ce n'est qu'une fois le principe de l'absence de consentement des mineurs posé que le législateur espagnol hisse la violence ou la particulière vulnérabilité tenant à l'âge de la victime au rang de circonstances aggravantes. À la lumière de cette vénérable législation et par un souci de pragmatisme et de cohérence, la violence, la contrainte, la surprise ou la menace qui sont actuellement considérées comme éléments constitutifs des agressions sexuelles pourraient devenir en droit français des circonstances aggravantes.

 

Au regard de ce qui précède, il est loisible de prôner, en dépit de profonds bouleversements du régime en place que son émergence impliquerait, la mise en place d'une présomption d'absence de consentement des mineurs victimes d'infractions de nature sexuelle, laquelle devrait rendre dans la foulée inutile le maintien des atteintes sexuelles sans violence.

 

III - De l'inanité des atteintes sexuelles sans violence

 

Pour peu que l'on s'interroge sur la coexistence des agressions sexuelles et des atteintes sexuelles sans violence, on s'aperçoit que le régime de la protection du consentement des mineurs victimes d'infractions sexuelles recèle quelques paradoxes. À l'évidence, la différence entre le viol et les atteintes sexuelles tient au défaut ou pas de consentement des mineurs car la victime est pénétrée dans les deux cas(20). Or, il a été vu que dans certaines hypothèses, le très jeune âge de cette dernière ne lui permet de manifester le moindre consentement.

 

Un auteur a mis en exergue ce paradoxe en constatant que « les infractions les moins graves, c'est-à-dire les atteintes sexuelles commises sans violence ni menace ni surprise ni contrainte sur un enfant mineur par un ascendant sont plus aisément poursuivables puisque le consentement ne saurait constituer une cause de justification : peu importe donc que l'enfant ait consenti à un attouchement sans violence. Même s'il approche de ses 18 ans, son père peut être poursuivi... Alors que s'il a 10 ans et a été pénétré, la nécessité de la démonstration de l'absence de son consentement est exigée(21)! ». Comment alors expliquer qu'une pénétration sexuelle commise avec violence, menace, surprise ou contrainte contre un mineur soit un viol alors que sous le couvert du pseudo-consentement des mineurs, les atteintes sexuelles impliquant une pénétration commise sans violence ne constituent pas un viol ?

 

Les apories qui caractérisent, pour l'heure, le régime du consentement des mineurs en matière d'infractions sexuelles devraient conduire à l'abrogation des atteintes sexuelles sans violence pour laisser la place à une présomption d'absence de consentement des mineurs qui serait élaborée à partir d'une conception renouvelée des agressions sexuelles. Seraient ainsi abrogés les articles 227-25, 227-27 et le nouvel article 227-27-2 du code pénal issu de la loi du 8 février 2010. Émergeraient en contrepoint un viol qui serait constitué par la preuve de la pénétration sexuelle et des agressions sexuelles autres que le viol en absence de pénétration sexuelle. Si atteintes sexuelles il pourrait continuer en être question ; elles devraient concerner au premier chef les atteintes ou attouchements sexuels qui ne supposent pas de pénétration. Une fois le principe de l'absence de consentement des mineurs posé et ses contours dessinés, ne saurait être éludée l'épineuse question de l'âge des mineurs dans le cadre de cette présomption.

 

Le régime différencié du consentement des mineurs qui prévaut actuellement en droit français entre les mineurs victimes d'inceste et les autres mineurs en général devrait être maintenu. Sauf en effet à brider la liberté sexuelle de certains mineurs, le seuil de quinze ans devrait être retenu pour les mineurs victimes d'infractions sexuelles en dehors du cercle familial. Tel ne devrait pas être le cas des mineurs victimes d'inceste. En l'état actuel des choses, sévit un dépeçage de la minorité des victimes d'inceste qui relève tantôt des atteintes sexuelles commises contre tous les mineurs de moins de quinze ans (C. pén., art. 227-25) tantôt du cadre spécifique des mineurs victimes d'inceste (C. pén., art. 227-27). Ce seuil ne va pas sans poser des difficultés juridiques, car pour pouvoir poursuivre l'auteur des atteintes sexuelles, la victime doit avoir quinze ans révolus au moment des faits(22). Ce seuil de quinze ans, observe un auteur, a été retenu afin de le faire coïncider avec l'article 144 du code civil qui autorisait le mariage des filles à quinze ans(23). Comment expliquer que ce seuil a été relevé à dix-huit ans par la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs?

 

À dire vrai, ce seuil d'âge de quinze ans n'est qu'une fiction juridique. En réalité, cette prétendue majorité sexuelle varie d'un mineur à un autre en fonction de son environnement, de ses apparences physiques ou de son ouverture d'esprit. Il n'y a pas lieu de disséquer la minorité de la victime d'inceste selon qu'il s'agit d'un viol incestueux ou d'une atteinte sexuelle incestueuse lorsqu'on sait que les faits sont parfois imposés avant l'âge de quinze ans. Dans le cadre de la mise en place d'une présomption d'absence de consentement, point ne serait en effet besoin de conserver cette césure artificielle dans la minorité des victimes d'inceste.

 

Il paraît préférable de retenir une conception linéaire de la minorité de la victime d'inceste puisque toute dichotomie de cette dernière constituerait un obstacle à l'efficacité de la répression. Paraît-il nécessaire de relever qu'en droit français aucun seuil d'âge légal n'est en principe prévu pour engager la responsabilité des mineurs auteurs d'infraction(24) ? Il suffit, selon les termes de l'article 122-8 du code pénal, qu'ils soient dotés de discernement. Pourquoi serait-il alors nécessaire de retenir une telle conception dans le cadre de la minorité de la victime d'inceste pour assurer corrélativement sa protection?

 

Retenir le crime de viol là où le droit pénal voit une simple atteinte sexuelle ne serait guère porteur d'inconvénients au principe de la légalité qui postule la nécessité et la proportionnalité des peines puisque le principe de l'individualisation des peines permettra au juge de moduler celles-ci en fonction de la personnalité de l'auteur des agissements incestueux. La présomption d'absence de consentement n'empêcherait d'ailleurs pas de fixer la peine en fonction de la qualité de l'auteur des faits ou l'âge de la victime. L'idée qui sous-tend la présomption d'absence de consentement semble moins une pénalisation des agressions sexuelles que de rendre plus cohérent le régime actuel.

 

Pour conclure, une observation s'impose. On le voit, la litanie des dispositions pénales protégeant le consentement des mineurs dans le cadre des infractions sexuelles ne correspond pas nécessairement à une protection efficace de ces derniers. Au contraire, des lignes précédentes ressort le sentiment d'un régime de protection incohérent et confus, si bien que la mise en place d'une présomption d'absence de consentement des mineurs victimes d'infractions sexuelles demeure une alternative plus que plausible.

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commentaires

G
Bonjour, <br /> J'aimerais exposer un cas particulier. Le cas d'une relation basée sur l'amour et le respect, dont la rencontre eut lieu sur un site de rencontre lambda, et ayant duré 4 mois. Durant ces 4 mois, l'homme majeur de 20 ans a été trompé sur l'age de la femme, qui lui a dit avoir 20ans mais qui n'avait en fait que 15ans, à partir de ce moment le majeur a mis fin a la relation. Bien qu'il y ait majorité sexuelle finalement, la premiere relation sexuelle à eu lieu 4 jours avant l'anniversaire de la mineure (donc à 14ans) et a continué après dans une relation amoureuse. Rien ne permettait de connaitre la vérité, des amis plus vieux, une grande liberté de vie, une intelligence hors norme, un niveau de connaissance égal à une personne de 20ans connaissant les grands concepts philosophiques. La vie inventée ne pouvait être vérifiée mais semblait juste.<br /> De plus la demande sexuelle venait d'elle et son experience était largement supérieure à celle de la personne majeure par exemple, celle ci (la mineure) ayant eu plusieurs experiences avec des personnes majeurs avant.<br /> Quelles sont alors les consequence possible de ce cas.
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I
Pourquoi n'y a t-il pas les notes alors que des renvois sont fait dans l'article. Exemples (1), (2), .... ??
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