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21 janvier 2013 1 21 /01 /janvier /2013 15:28

M. D détenu, a été sanctionné à hauteur de trente jours de quartier disciplinaire, pour avoir exercé des violences contre un membre du personnel pénitentiaire. Il conteste les faits et demande, afin de le prouver, à visionner les enregistrements vidéo opérés sur les lieux par les caméras de sécurité. Cela lui est refusé. Son recours hiérarchique préalable étant rejeté, il saisit le tribunal administratif d'un recours pour excès de pouvoir.

 

M. D a subi, en l'espère, la sanction maximale encourue par le code de procédure pénale. Rappelons en effet que depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, les quanta de sanctions de cellule disciplinaire ont été réduits de manière significative : le maximum encouru pour les fautes de premier degré définies par l'article R. 57-7-1 est en effet de vingt jours, mais de trente si les faits constituent un acte de violence contre les personnes (C. pr. pén., art. 726 et R. 57-7-47) tel que visé aux articles R. 57-7-1-1° (violence contre les personnels ou personnes en mission ou visite) et R. 57-7-1-2° (violence contre un détenu) (sur cette faute disciplinaire, V. M. Herzog-Evans, 2012, ch. 811). Si les faits étaient bien commis, cette sanction apparaîtrait d'autant plus justifiée qu'avant la loi pénitentiaire, c'étaient quarante-cinq jours qui auraient été encourus. Le changement de perspective induit par la réforme a permis de réduire l'attrait de la sanction de cellule disciplinaire et de la recentrer sur les faits les plus graves, tels ceux de l'espèce. En outre, il est naturel de souhaiter prévenir la commission de tels faits, alors que les surveillants doivent exercer leur métier chaque jour dans l'environnement difficile qui est celui de la prison. Reste qu'en l'espèce l'intéressé contestait les faits et avait suffisamment d'assurance sur ce point pour demander à ce que la preuve puisse en être établie par le visionnage des enregistrements opérés par les caméras de surveillance. Le refus de l'établissement, puis des autorités hiérarchiques était à cet égard pour le moins dérangeant. Comme le tribunal administratif de Dijon le rétorquait à juste titre, rien ne permettait de fonder un prétendu danger pour quiconque, qu'aurait pu causer un tel visionnage. Il est salutaire que ce tribunal ne s'en soit pas laissé compter sur ce point. Son jugement constitue en même temps une avancée certaine en droit disciplinaire. Jusqu'à présent, en effet, les droits de la défense se limitaient le plus souvent à un examen du dossier - par hypothèse incomplet car limité aux seules écritures directement liées à la procédure disciplinaire - et à une plaidoirie (M. Herzog-Evans, 2012, ch. 1116) ou, pour le détenu, à des « observations » (C. pr. pén., art. R 57-7-25, al. 1 ; M. Herzog-Evans, 2012, ch. 1115). En revanche, le droit de la preuve était lacunaire : le droit positif à valeur normative demeurait silencieux et sur la question des témoins (M. Herzog-Evans, 2012, n° 1014.12) et sur celle des preuves matérielles (M. Herzog-Evans, 2012, n° 1014.31 s.). Le tribunal de Dijon fait un pas décisif sur ce point, qui autorise l'accès à des enregistrements, preuve préconstituée dont l'utilité apparaît de ce fait considérable. Le visionnage des enregistrements devrait au demeurant être la règle, dès lors que le lieu de commission des faits était couvert par des caméras.

 

Rappelons que pour M. D. la sanction litigieuse aura entre-temps bel et bien été purgée, dès lors que ni le recours hiérarchique préalable, ni le recours pour excès de pouvoir auprès du juge administratif n'a d'effet suspensif. C'est pour ce motif que la France avait été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme (AJDA 2011. 139 ; ibid. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 643, obs. S. Lavric, note J.-P. Céré ; ibid. 1306, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2011. 88, note M. Herzog-Evans ; RSC 2011. 718, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2012. 208, chron. P. Poncela ; D. 2012. 1294, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2011. 605, obs. J.-P. Céré ; RSC 2012. 208, chron. P. Poncela ; ibid. 263, obs. J.-P. Marguénaud ; D. 2012. 1294, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2011. 605 ; RSC 2012. 208, chron. P. Poncela ; ibid. 263, obs. J.-P. Marguénaud). La question lancinante de l'impartialité des commissions de discipline se pose en outre toujours : si la présence en leur sein d'un assesseur issu de la vie civile constitue une indéniable amélioration (C. pr. pén., art. 726 ; V. M Herzog-Evans, 2012, n° 1111.41 s.), il convient de rappeler que celui-ci n'a pas voix délibérative. En outre, dans certains ressorts, les présidents de tribunaux, en charge du recrutement des assesseurs s'y sont mollement impliqués ou ont fait preuve d'une interprétation exagérément restrictive des conditions posées par l'article R. 57-7-10 du code de procédure pénale. C'est ainsi qu'un grand nombre de nos étudiants se voient refuser la participation à ces commissions, alors qu'ils seraient des candidats naturels - et constitueraient un vivier important et renouvelable - à de telles fonctions. Assurément le droit disciplinaire, lequel s'est certes considérablement amélioré depuis 1996 (surtout si l'on compare avec d'autres droits : V. par ex. S. Easton, 2012, spéc. p. 125 s.), doit encore progresser.

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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 14:26

Alors qu'il est arrêté par une patrouille de policiers municipaux pour avoir commis plusieurs infractions à la législation du code de la route, un conducteur, refusant de se soumettre à un éthylotest malgré des symptômes révélateurs d'ivresse, décide d'appeler le maire de la ville qui se trouve être l'une de ses connaissances. Celui-ci informé de la situation se transporte sur les lieux, demandant aux agents municipaux de l'attendre. Estimant, une fois sur place, qu'une reconduite de l'infracteur à son domicile accompagnée d'une admonestation suffisent, le maire demande aux policiers de lui remettre un rapport d'information relatant les faits ; rapport qu'il se chargera personnellement de transmettre au commissariat le lendemain. Cependant, accéder à cette demande revient, pour les policiers municipaux, à nier les obligations qu'ils tiennent des prescriptions de l'article 21-2 du code de procédure pénale selon lequel ils doivent rendre « compte immédiatement à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance » et adresser « sans délai leurs rapports et procès-verbaux simultanément au maire et, par l'intermédiaire des officiers de police judiciaire mentionnés à l'alinéa précédent, au procureur de la République ». Nonobstant ce rappel effectué par les policiers municipaux au maire, ce dernier réitère son ordre verbal de ne pas informer la police judiciaire de la commission de ces infractions. Par cet ordre, considéré comme illégal, le maire se trouve cité directement devant le tribunal correctionnel de Meaux du chef de prise de mesures contre l'exécution de la loi en tant que dépositaire de l'autorité publique, prévu à l'article 432-1 du code pénal.

 

Condamné par les juges du fond à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, il forme un pourvoi en cassation et dépose, dans le même temps, une question prioritaire de constitutionnalité relative au sens à donner à la « loi » telle qu'entendue par l'article susvisé. En effet, selon lui, cet article méconnaîtrait le principe de légalité prévu par l'article 34 de la Constitution et l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, faute de préciser si, pour son application, la loi est entendue au sens matériel ou au sens formel.

 

Saisie de cette question, la Cour de cassation refuse toutefois sa transmission au Conseil constitutionnel, faute d'être nouvelle et sérieuse.

 

Rares sont les décisions portant sur les abus de l'autorité commis par des personnes dépositaires de l'autorité publique. Aussi, cette décision destinée à préciser cette infraction assez mal connue paraissait de bon augure.

 

Pour être poursuivi au titre de cette infraction, rappelons que le prévenu doit être tout d'abord dépositaire de l'autorité publique. Est considérée comme dépositaire de l'autorité publique, toute personne revêtue d'un pouvoir de décision et de contrainte dont elle est investie par délégation de l'autorité publique, lui permettant ainsi de prendre des mesures nécessaires à l'exécution de la loi. Tel étant le cas d'un maire, la cour d'appel a pertinemment rappelé que « selon la doctrine unanime, la liste des personnes entrant dans les prévisions de ce texte comprend (notamment) les représentants des collectivités territoriales, catégorie qui comprend les maires et leurs adjoints » (Paris, pôle 2, ch. 7, 14 déc. 2011, RG n° 10/7039).

 

Par ailleurs, la mesure prise par l'infracteur doit être destinée à faire échec à l'exécution de la loi. Autrement dit, elle doit se traduire par un acte positif, le délit réprimant le fait de « prendre » une mesure (Crim. 19 févr. 2003, n° 02-84.058), quelle qu'en soit sa nature (v. par ex. le cas d'une circulaire prise par un ancien directeur de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice afin de pallier une insuffisance rédactionnelle d'une loi conduisant à appliquer un cumul de crédits de réduction de peines, manifestement contraire à la volonté du législateur, Crim. 8 nov. 2011, n° 10-80.586). Mais, cette mesure doit, en plus, avoir pour but de faire échec à l'exécution de la loi. Or, qu'entend-on par « loi » ? Doit-elle être prise dans son acception large ou, à l'inverse, stricto sensu ? En soi, la question prioritaire de constitutionnalité posée à la Cour de cassation ne manquait pas de pertinence dans la mesure où peu de décisions sur ce point ont été rendues. Cependant, à y regarder de plus près, on ne comprend pas très bien, en l'espèce, l'intérêt dont justifiait le maire à ce que la loi soit entendue selon un sens plutôt qu'un autre puisque, comme le précisent les juges du quai de l'Horloge, les mesures prises par le maire étaient « destinées à faire échec à l'application d'un article législatif du code de procédure pénale » ; autrement dit, un texte forcément entendu à la fois au sens formel en tant que texte émanant du Parlement mais aussi au sens matériel par son caractère normatif. Face à un tel illogisme, la Cour de cassation a cru bon de centrer sa solution sur la situation du prévenu alors même que cette décision aurait pu être l'occasion d'éclairer un point relativement obscur.

 

Si tout le monde s'accorde pour dire que la loi, telle qu'elle est visée à l'article 432-1 du code pénal, s'entend relativement extensivement en ce qu'elle comprend la loi votée par le pouvoir législatif et les textes supérieurs à la loi à l'instar de la Constitution et les traités ou textes assimilés (lois étrangères, ordonnances, etc.) (en ce sens, A. Fitte-Duval, Rép. pén., v° Fonctionnaire et agent public, n° 32 ; A. Vitu et M.-Fr. Homassen, Fasc. n° 20, Abus d'autorité, Lexis-Nexis, n° 12), seuls ces textes à valeur légale sont compris. Aussi, « toute possibilité de poursuite en matière réglementaire » (Paris, ch. 11, sect. A, 19 juin 1996, RG n° 1042/96 ; v. égal. Rapp. AN, n° 2244, p. 125 ; Rapp. Sénat, n° 274) se trouve rejetée même s'il est permis de douter de la pertinence d'une telle exclusion, ne serait-ce qu'en raison de l'« ensemble cohérent et indivisible » que forment les actes réglementaires avec les lois (en ce sens, A. Vitu et M.-Fr. Homassen, Fasc. n° 20, Abus d'autorité, préc. ; égal. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Précis Dalloz, 6e éd., 2011, n° 1081).

 

Dans ces conditions, on ne peut que regretter la fermeté dont fait ici preuve la Cour de cassation pour livrer une interprétation du terme « loi », sauf à considérer que la précision explicite du caractère législatif de l'article n'en soit déjà une...

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7 janvier 2013 1 07 /01 /janvier /2013 14:25

L'antépénultième alinéa de l'article 521-1 du code pénal qui prévoit une exception selon laquelle les courses de taureaux ne tombent pas sous le coup de la loi pénale lorsqu'une tradition locale interrompue peut être invoquée, ne méconnaît pas le principe d'égalité selon le Conseil constitutionnel. Cette méconnaissance avait été invoquée au soutien d'une QPC dans le cadre d'une procédure en annulation d'une décision par laquelle le ministre de la Culture et de la Communication avait inscrit, en application de l'article 12 de la convention de l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, la corrida au patrimoine immatériel de la France. La QPC soulevée devant le tribunal administratif a été transmise par le Conseil d'État (CE 20 juin 2012, n° 357798).

 

L'article 521-1 du code pénal punit les sévices et actes de cruauté envers les animaux. Seule l'existence d'une tradition locale ininterrompue fait obstacle à ce que s'applique à une course de taureaux - et de manière similaire aux combats de coqs - cette disposition pénale. Le Conseil constitutionnel a refusé de déclarer cette exception contraire au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Il affirme d'abord que ces pratiques traditionnelles ne portent atteinte à aucun droit constitutionnellement garanti. La protection des animaux n'a qu'une valeur législative et ne bénéficie d'aucune protection constitutionnelle, libre donc au législateur de prévoir des exceptions.

 

Le Conseil souligne ensuite que cette exonération « n'est applicable que dans les parties du territoire national où l'existence d'une telle tradition ininterrompue est établie et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition ». Sa solution est fondée dès lors que le principe d'égalité «ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (décis. n° 81-132 DC, 16 janv. 1982). En l'espèce, « la différence de traitement instaurée par le législateur entre agissements de même nature accomplis dans des zones géographiques différentes est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ». Cela ne signifie pas tant que la tradition tauromachique n'est pas incompatible avec la finalité de protection des animaux de l'article 521-1 du code pénal que d'admettre que l'objet de la loi est de préciser le régime juridique des actes de cruauté sur les animaux et ses contours.

 

Une modulation géographique de l'égalité devant la loi pénale a déjà été admise par le passé. Si une telle différence de traitement n'est pas contestable, elle est plus convaincante lorsque celle-ci n'a pas pour fondement des revendications culturelles ou la prise en compte d'une forme d'identité régionale mais des éléments objectifs relatifs à l'ordre public. Ainsi, dans sa décision 5 août 1993 (décis. n° 93-323 DC, Loi relative aux contrôles et vérifications d'identité), le Conseil avait-il validé les contrôles opérés dans des zones frontières où existent « des risques particuliers d'infractions et d'atteintes à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes » (v. également. décis. du 22 avril 1997, n° 97-389 DC, Loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration).

 

Concernant l'argument selon lequel la notion « de tradition locale ininterrompue », sur laquelle repose cette différence de traitement, serait contraire au principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi imposé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Conseil reprend sa jurisprudence antérieure. Il rappelle que des incriminations pénales fondées sur des notions qu'il appartient au juge d'interpréter pour apprécier les situations de fait y correspondant n'en sont pas pour autant des incriminations arbitraires (v. déjà décis. n° 2009-590 DC du 22 oct. 2009).

 

Si la clarté de la loi pénale n'est pas en cause, on ne pourra en dire autant de celle de la jurisprudence. La Cour de cassation a en effet une interprétation « sentimentale » (P. Deumier, La tradition tauromachique, source sentimentale du droit, RTD civ. 2007. 57) et laxiste de la tradition tauromachique accentuant en conséquence l'atteinte à la force juridique de la règle de droit et à son unité (N. Molfessis, La tradition locale et la force de la règle de droit, RTD civ. 2002. 181). À défaut pour le législateur de consacrer que « les toros s'ennuient le dimanche quand il s'agit de mourir pour nous » (J. Brel), il serait déjà un maigre progrès que de confier au pouvoir réglementaire la fixation des localités concernées par une telle tradition sur le modèle de la chasse au gibier d'eau, la nuit, à partir de postes fixes.

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31 décembre 2012 1 31 /12 /décembre /2012 15:24

Par ordonnance du 14 février 2012, les juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris ont ordonné la mise en accusation de M. E. A. et de huit autres mis en examen devant la cour d'assises spéciale de Paris du chef d'importation de stupéfiants commise en bande organisée et d'infractions connexes. Ces magistrats ont par ailleurs ordonné, après disjonction, le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de l'ensemble des autres mis en examen du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants et d'autres délits connexes en procédant à une correctionnalisation de pure opportunité. Les mis en examen renvoyés devant la cour d'assises ont interjeté appel de l'ordonnance de règlement devant la chambre de l'instruction. Par arrêt du 15 mai 2012, la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance de mise en accusation au motif qu'elle n'était saisie que des appels interjetés par les mis en examen qui avaient fait l'objet d'une ordonnance de mise en accusation et qu'elle n'avait pas en conséquence à apprécier la décision des magistrats instructeurs quant aux conditions de renvoi ou de non-lieu des faits imputés aux personnes non visées par les appels qui lui étaient soumis. M. E. A. s'est pourvu en cassation contre cette décision au motif que l'indivisibilité des faits objets d'une même poursuite, l'effet dévolutif de l'appel et le principe d'égalité devant la justice imposaient à la chambre de l'instruction d'examiner les faits reprochés à l'ensemble des mis en examen, et non seulement ceux reprochés aux seuls appelants, et lui interdisaient de procéder à la disjonction de certains des faits objets de l'information pour procéder à leur correctionnalisation en opportunité.

 

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 22 août 2012 un arrêt qui, s'il fait une exacte application des dispositions du code de procédure pénale relatives à l'effet dévolutif de l'appel devant la chambre de l'instruction, n'en élude pas moins la délicate question de la compatibilité de la pratique de la correctionnalisation avec le principe d'égalité devant la justice notamment affirmé par l'article préliminaire du code de procédure pénale. Rappelons en effet qu'il résulte de ce texte que « les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles ».

 

Il résulte des articles 201 à 205 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction dispose d'un vaste pouvoir de révision des informations judiciaires qui lui sont dévolues. L'article 202 dispose ainsi que la chambre de l'instruction « peut, d'office ou sur réquisitions du procureur général, ordonner qu'il soit informé à l'égard des personnes mises en examen ou prévenus renvoyés devant elle sur tous les chefs de crimes, de délits, de contraventions, principaux ou connexes, résultant du dossier de la procédure, qui n'auraient pas été visés par l'ordonnance du juge d'instruction ou qui auraient été distraits par une ordonnance comportant non-lieu partiel, disjonction ou renvoi devant la juridiction correctionnelle ou de police ». De même, l'article 204 prévoit que « la chambre de l'instruction peut également, quant aux infractions résultant du dossier de la procédure, ordonner que soient mises en examen [...] des personnes qui n'ont pas été renvoyées devant elle, à moins qu'elles n'aient fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu devenue définitive ». Il reste que ce pouvoir de révision ne peut être exercé en violation de l'effet dévolutif de l'appel. Si l'on cherchera en vain dans le code de procédure pénale la disposition fondant cet effet de l'appel devant la chambre de l'instruction, nul ne contestera pourtant ce que la doctrine la plus classique enseignait en contemplation de la jurisprudence de la Chambre criminelle : « L'effet dévolutif de l'appel soumet à la chambre [de l'instruction], pour un nouvel examen, les points de fait et de droit sur lesquels le juge avait statué par l'ordonnance attaquée » (R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, p. 537). L'étendue de la saisine de la chambre de l'instruction est fixée selon ce principe, cette juridiction ne pouvant examiner autre chose que les chefs de l'ordonnance du juge d'instruction qui lui sont déférés par l'acte d'appel. Les dispositions de l'article 509 du code de procédure pénale, au sujet de la chambre des appels correctionnels, sont à cet égard très éclairantes : « l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ainsi qu'il est dit à l'article 515 » ; chacun reconnaîtra la règle tantum devolutum.

 

En cas d'appel d'une ordonnance de règlement complexe interjeté par un seul mis en examen, les limites de l'effet dévolutif de l'appel ont donc cette conséquence que la chambre de l'instruction ne saurait se considérer saisie des chefs de l'ordonnance relatifs aux mis en examen non appelants que l'appelant est en tout état de cause irrecevable à contester. Partant, le pouvoir de révision de la chambre de l'instruction est insusceptible de s'exercer à l'égard de ces derniers, ces mis en examen auraient-ils bénéficiés de la correctionnalisation en opportunité des faits qui leur étaient reprochés. Une solution semblable avait d'ailleurs déjà été retenue dans un arrêt non publié du 13 février 2008 rendu dans une espèce analogue (Crim. 13 févr. 2008, n° 07-88.001). Dans cette espèce toutefois, la Chambre criminelle s'était fondée sur l'appréciation souveraine de la chambre de l'instruction pour rejeter le pourvoi.

 

Ces arguments techniques au soutien de la solution retenue par la Chambre criminelle ne sont pourtant que de peu de poids face à la difficulté plus fondamentale posée par le pourvoi. La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 est certes venue consacrer la pratique de la correctionnalisation en opportunité des faits criminels en insérant dans le code de procédure pénale un article 186-3 permettant à la personne mise en examen et à la partie civile d'interjeter appel de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel lorsque ces parties estiment que les faits renvoyés devant cette juridiction constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises. Simultanément, l'article 469 du code de procédure pénale a été complété par un troisième alinéa interdisant au tribunal correctionnel de se déclarer, d'office ou à la demande des parties, incompétent en raison de la nature criminelle des faits déférés, à la condition que cette juridiction ait été saisie par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction et que la victime ait été constituée partie civile et ait été assistée d'un avocat à la date de l'ordonnance de règlement. Il était en définitive dans l'intention du législateur de « permettre aux parties de contester la compétence de la juridiction de jugement lors du règlement de l'information tout en limitant les possibilités de contester cette compétence lors du jugement » (Rapport n° 441, 2002-2003, p.373).

 

Cette réforme a pourtant laissé entière la question de la validité de la pratique consistant à procéder, au stade du règlement de l'information, à la disjonction de faits identiques reprochés à plusieurs mis en examen, pour ne procéder à une correctionnalisation qu'au bénéfice de seulement certains d'entre eux. Cette pratique, qui n'est pas rare, se heurte à l'évidence au principe d'égalité devant la justice. C'est en effet en pure opportunité, et fréquemment sans autre motivation que la référence à « l'intérêt d'une bonne administration de la justice », que ces décisions sont rendues par les magistrats instructeurs. Cette difficulté prend de surcroît un relief particulier lorsque la correctionnalisation consiste, comme en l'espèce, à abandonner la circonstance aggravante de bande organisée, laquelle va simultanément être reprochée à ceux des mis en examen qui feront l'objet d'une mise en accusation du chef de faits criminels. Songeons que, sur la question distincte de la constitutionnalité des dispositions de l'article 207 du code de procédure pénale qui permettaient à la chambre de l'instruction de se réserver le contentieux de la détention provisoire, le Conseil constitutionnel s'était précisément fondé sur le principe d'égalité de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme pour invalider ces dispositions dans la décision n° 2010-81 QPC du 17 décembre 2010. Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions conféraient à la chambre de l'instruction le pouvoir discrétionnaire de priver un mis en examen de garanties prévues par la loi en matière de détention provisoire et notamment du droit à un double degré de juridiction instauré pour toute décision en matière de détention provisoire. La difficulté est ici semblable et les arguments techniques avancés par la Chambre criminelle ne suffisent pas à justifier l'atteinte portée au principe d'égalité devant la justice qui imposait que soit motivé le traitement différencié réservé aux mis en examen appelants.

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 14:23

Par déclaration au greffe de la maison d'arrêt en date du 2 avril 2012, Hadj Z. a interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de la juridiction interrégionale spécialisée rejetant sa demande de mise en liberté et a demandé sa comparution personnelle devant la chambre de l'instruction. Cette déclaration, adressée au greffe du tribunal de grande instance par télécopie, y a été transcrite sur le registre tenu à cet effet le 16 mai 2012 et la chambre de l'instruction a évoqué l'affaire à son audience du 23 mai 2012. Devant cette juridiction, Hadj Z. a sollicité sa mise en liberté d'office, faute de décision ayant statué sur son appel dans le délai légal de l'article 194 du code de procédure pénale. Pour rejeter sa demande, la chambre de l'instruction a considéré qu'il n'était pas discutable, au regard du récépissé de la transmission de l'avis d'appel au greffe du tribunal de grande instance le 2 avril 2012 à 12 heures 21, que la déclaration d'appel de Hadj Z. avait bien été envoyée par télécopie à ce service. Il était manifeste, en revanche, ainsi que l'attestait le greffier en chef du tribunal de grande instance que, pour une raison technique demeurant inconnue, cet avis n'était jamais parvenu à son destinataire. Ainsi, il devait être constaté que la transcription de cet appel, le 16 mai 2012, résultait d'une circonstance insurmontable extérieure au service public de la justice, ce dont il résultait que la détention du mis en examen n'était entachée d'aucune irrégularité. Hadj Z. s'est pourvu en cassation contre cette décision.


L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 4 septembre 2012 rappelle les conditions qui doivent être remplies pour que se trouve justifiée la tardiveté de la décision de la chambre de l'instruction statuant en matière de détention provisoire.


Il résulte des dispositions des articles 186 et 503 du code de procédure pénale que, lorsque le mis en examen exerce son droit d'interjeter appel des ordonnances du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention, l'acte d'appel peut être formé par déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire si l'appelant est détenu. Cette déclaration est en pratique effectuée au greffe de la maison d'arrêt où est écroué l'intéressé. Le troisième alinéa de l'article 503 prévoit que cette déclaration d'appel doit être ensuite adressée sans délai, en original ou en copie, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, où elle est transcrite sur le registre dressé à cet effet par le greffier. Ce registre est le plus souvent tenu au secrétariat commun du service de l'instruction de la juridiction.


Ces formalités revêtent une importance particulière lorsque le mis en examen détenu interjette appel d'une ordonnance le plaçant en détention provisoire, prolongeant celle-ci ou rejetant sa demande de mise en liberté. En effet, l'article 194 du code de procédure pénale impose dans ce cas à la chambre de l'instruction de statuer dans de brefs délais : « En matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l'appel lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas, faute de quoi la personne concernée est mise d'office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l'affaire dans le délai prévu au présent article ». Il s'ajoute à ce délai un délai de cinq jours lorsque la personne mise en examen demande à comparaître personnellement. Hors le cas où ont été ordonnées des vérifications concernant la demande du mis en examen, tout retard dans l'examen de l'appel doit donc conduire à la mise en liberté d'office de l'intéressé, à moins que ne se trouvent caractérisées « des circonstances imprévisibles et insurmontables » venant justifier ce retard. Dans le silence du législateur, la jurisprudence est venue fixer le point de départ de ces délais au lendemain de la transcription de la déclaration d'appel sur le registre tenu à cet effet au greffe de la juridiction dont la décision est attaquée (Crim. 8 févr. 1996 ; plus récemment 15 oct. 2002).


De jurisprudence constante cependant, retenant l'interprétation la plus protectrice des intérêts de la personne détenue, la Chambre criminelle a ajouté une condition d'extériorité à la justification du dépassement du délai donné à la chambre de l'instruction pour statuer. Ainsi, dans un arrêt du 9 décembre 2008, la Chambre criminelle a rappelé que la chambre de l'instruction devait « caractériser une circonstance imprévisible et insurmontable, extérieure au service de la justice » pour s'opposer à la mise en liberté d'office du mis en examen en cas de dépassement du délai de l'article 194 (Crim. 9 déc. 2008). Il résultait de surcroît de cet arrêt le fait que le point de départ de ce délai soit en principe fixé au lendemain du jour de la transcription de la déclaration d'appel sur le registre ad hoc, mais que cette règle ne suffisait pas à couvrir l'irrégularité lorsque le délai pour statuer avait été dépassé au motif que la déclaration d'appel faite au greffe de la maison d'arrêt n'avait jamais été transcrite sur ce registre. À quoi bon, en effet, fixer à une juridiction un délai pour statuer, s'il lui est loisible de fixer à sa guise le point de départ de celui-ci ? De même, le 18 janvier 2011, la Chambre criminelle a considéré qu'il appartenait à la chambre de l'instruction « de caractériser l'existence d'une circonstance imprévisible et insurmontable, extérieure au service de la justice, ayant différé la transcription de l'appel » et a rappelé que le retard de transcription sur le registre du greffe de la juridiction de la déclaration d'appel interjetée au greffe de l'établissement pénitentiaire était insusceptible de justifier le dépassement du délai pour statuer (Crim. 18 janv. 2011). Semblable solution a encore été retenue dans un arrêt récent du 7 février 2012, la Chambre criminelle reprochant à une chambre de l'instruction de ne pas avoir caractérisé « l'existence d'une circonstance imprévisible et insurmontable, extérieure au service de la justice, ayant différé la transcription de l'appel » (Crim. 7 févr. 2012). En définitive, il résultait de ces arrêts que, lorsque la déclaration d'appel était faite au greffe de la maison d'arrêt, c'était à compter de celle-ci que commençait à courir le délai pour statuer de l'article 194, le retard de transcription sur le registre tenu au greffe de la juridiction étant insusceptible de justifier le dépassement de ce délai, faute d'être extérieur au service public de la justice. Cette condition d'extériorité n'est en vérité nullement propre au droit pénal ; elle est au contraire une condition habituelle de la force majeure.


La Chambre criminelle de la Cour de cassation n'a pas adopté une autre position dans la présente espèce. En effet, il était constant que Hadj Z. avait interjeté appel de l'ordonnance de rejet de sa demande de mise en liberté par déclaration au greffe de la maison d'arrêt en date du 2 avril 2012 qui en avait immédiatement adressé copie au greffe du tribunal de grande instance par télécopie. Si cette déclaration d'appel n'avait été transcrite sur le registre tenu par ce service que le 16 mai 2012, à une date où le délai de l'article 194 du code de procédure pénale avait d'ores et déjà expiré, ce ne pouvait être qu'en raison d'une défaillance propre au service de la justice. Ceci imposait la mise en liberté d'office de l'intéressé.

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 14:22

N'ayant pas été examinée par le Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle a priori, la réforme de la garde à vue fait, sans surprise, l'objet d'un examen point par point par les Sages, dans le cadre du contrôle a posteriori. La décision n° 2011-191/194/195/197 QPC du 18 novembre 2011 n'a pas mis fin à la « saga » garde à vue (v. B. de Lamy, RSC 2012. 217). Pour preuve le Conseil a été de nouveau saisi par une décision de la Chambre criminelle du 11 avril 2012, cette fois concernant le régime prévu par l'article 78.

 

Si l'absence d'accès au dossier et les restrictions apportées à l'assistance d'un avocat n'étaient pas susceptibles d'être utilement invoquées, suite à cette décision du Conseil du 18 novembre 2011, tous les griefs n'étaient pas pour autant purgés. En effet, la rédaction de l'article 78 du code de procédure pénale fait apparaître une différence notable avec le régime prévu par l'alinéa 2 de l'article 62. Ce dernier limite la possibilité de placer un suspect en garde à vue aux seules infractions punies d'une peine d'emprisonnement ; en revanche, l'article 78 ne limite pas à ces mêmes hypothèses la faculté de convoquer un suspect ni de le contraindre à se présenter. Selon les requérants, cette absence de prévision méconnaîtrait le principe de rigueur nécessaire des mesures de contrainte mises en oeuvre au cours de la procédure pénale. Par ailleurs, suite à la consécration de l'audition libre par le Conseil constitutionnel et les précisions apportées à cette occasion, les requérants soulevaient l'inconstitutionnalité du texte en ce qu'il ne prévoyait pas la notification à l'intéressé de son droit de se taire pas plus que de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie.

 

Sur ces questions, le Conseil considère que l'article 78 du code de procédure pénale ne méconnaît pas le droit à la sûreté des intéressés, tout en rappelant les exigences applicables à l'audition libre en formulant la même réserve d'interprétation que celle formulée le 18 novembre 2011.

 

Après l'examen des articles 62 et suivants du code de procédure pénale, après l'examen des dispositions applicables à l'enregistrement des gardes à vue en matière criminelle et celles limitant le choix de l'avocat en matière de terrorisme, le Conseil se prononce, pour la quatrième fois en moins d'un an sur le régime applicable à la garde à vue.

 

Le premier grief d'inconstitutionnalité soulevé par les requérants concernait d'ailleurs la possibilité de contraindre un suspect à se rendre devant un officier de police judiciaire, y compris pour une infraction non punie d'une peine d'emprisonnement. La question se posait de la nécessité de cette « rigueur », tant une telle possibilité de contrainte pouvait sembler liée à la prévision d'une peine privative de liberté par le texte d'incrimination. La décision du 24 juin 2011 pouvait laisser entrevoir un accueil favorable à un tel argument, le Conseil considérant en effet qu'une privation de liberté pendant une durée pouvant aller jusqu'à six jours n'était envisageable qu'à l'égard des personnes suspectées d'avoir commis une infraction punie d'une peine d'emprisonnement. De la même façon, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil reprochait à l'ancien régime de la garde à vue de permettre une privation de liberté « quelle que soit la gravité des faits qui motivent une telle mesure ». Pouvait-on considérer que toute atteinte à la liberté exigeait nécessairement qu'une peine d'emprisonnement soit prévue pour l'infraction reprochée ? À la lecture de cette décision du 18 juin 2012, la réponse est négative : la privation de liberté au-delà d'un certain délai est soumise à une telle exigence, l'usage de la contrainte ne l'est pas. Au contraire, selon le Conseil, l'usage de la contrainte est même admis par la Déclaration de 1789 elle-même. Le commentaire aux Cahiers observe en effet que l'article 7 de la Déclaration prévoit que « tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance ». L'argument semble imparable, la restriction aux droits fondamentaux serait prévue par le texte fondateur des droits fondamentaux.

 

Il n'est pas certain que l'argument soit convaincant (notamment au regard des exigences conventionnelles, v. en ce sens O. Bachelet, Gaz. Pal. 10 juillet 2012). Si l'article 7 de la Déclaration impose bien à tout citoyen appelé ou saisi, dans les cas prévus par la loi, d'obéir, l'on peut être étonné d'y voir une exception à l'article 9, refusant toute rigueur non nécessaire pour s'assurer de sa personne. Ces différents articles semblent en effet renvoyer à des hypothèses différentes, quoique complémentaires : dans les cas prévus par la loi, l'intéressé doit obéir, mais cette exigence d'obéissance ne permet pas pour autant de prévoir une mesure excessive pour s'assurer de sa personne. Visées côte à côte dans les précédentes décisions relatives à la garde à vue ou à la retenue douanière, ces dispositions semblent pour la première fois s'opposer. Le télescopage des exigences constitutionnelles opéré par le Conseil peut donc surprendre, tant l'obligation de comparaître n'implique pas de facto la possibilité de recourir à la force publique. Surtout, une telle exception ne semble pas conforme à l'esprit de la Déclaration.

 

S'agissant en second lieu des droits du suspect auditionné « librement », le Conseil est fidèle à sa jurisprudence, en prévoyant les mêmes obligations qu'en matière d'enquête de flagrance. Le Conseil vient en effet exiger la notification de la nature et de la date de l'infraction et du droit de quitter à tout moment les locaux. Un tel droit pourrait d'ailleurs prendre véritablement son sens. Dans le cadre d'une enquête de flagrance, le refus du suspect d'être auditionné librement devrait logiquement se traduire par un placement en garde à vue, au point que l'on s'interroge sur l'effectivité du droit de quitter les locaux. En revanche, lorsque la personne suspectée d'avoir commis une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement n'est pas prévue est convoquée dans le cadre d'une enquête préliminaire, ne pouvant être placé en garde à vue, le suspect pourra effectivement quitter les locaux.

 

Enfin, l'on remarque que le Conseil n'examine pas l'argument lié à l'inconstitutionnalité du texte compte tenu de l'absence de notification à l'intéressé de son droit de se taire. Un tel « oubli » est regrettable, même si l'on devine que le silence de l'intéressé serait contraire à la logique de l'audition libre. Toutefois, une telle prévision aurait permis à l'intéressé d'accepter de faire des déclarations en connaissance de cause, atténuant ainsi le risque de méconnaissance des droits fondamentaux au cours de telles auditions. Surtout, une telle prévision aurait permis d'anticiper les exigences européennes, puisque la directive du 22 mai 2012 devrait conduire à prévoir la notification du droit de garder le silence à tout suspect, qu'il soit gardé à vue ou auditionné « librement ».

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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 14:21

À la suite de la plainte avec constitution de partie civile de l'association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA), de M. M. et M. D., employés de la société E., une information avait été ouverte, contre personne non dénommée, des chefs d'empoisonnement, voie de fait ayant entraîné la mort, homicide et blessures involontaires. La société E. puis MM. V., D., B., successivement directeur de l'usine se trouvant à Thiant et MM. C. et V., successivement directeur général de la société E., avaient été mis en examen. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris avait alors été saisie par ces deux derniers d'une demande d'annulation de leur mise en examen. Ils invoquaient la violation par le juge d'instruction des dispositions de l'article 116, alinéa 2, du code de procédure pénale, aux termes duquel le magistrat instructeur fait connaître expressément à la personne, en précisant leur qualification juridique, chacun des faits dont il est saisi et pour lesquels la mise en examen est envisagée. La chambre de l'instruction avait alors fait droit à leur demande d'annulation, mais elle s'était également saisie de l'annulation des quatre autres mises en examen (la société E. et MM. V., D. et B.), sur le fondement de l'article 206 du code de procédure pénale.

 

Cette décision avait alors fait l'objet de pourvois en cassation de la part des parties civiles. Une question prioritaire de constitutionnalité avait aussi été formulée à l'égard de l'article 206 du code de procédure pénale, mais cette dernière fut rejetée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

 

Plusieurs moyens étaient invoqués dans les pourvois, et en premier lieu une violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, car la chambre de l'instruction avait prononcé la nullité d'un acte de procédure sans avoir invité toutes les parties à présenter leurs observations.

 

Or, la Haute juridiction prononce la cassation de la décision de la chambre de l'instruction, car cette dernière, statuant sur les requêtes présentées par MM. C. et V. aux fins d'annulation de leur mise en examen, avait d'office, et sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, annulé les mises en examen de la société E. et de MM. V., D. et B.

 

Cet arrêt concernait l'affaire ô combien importante de l'amiante. Il présente un intérêt juridique en matière de procédure pénale. Une première question retenait plus particulièrement l'attention : il s'agissait de l'annulation d'office de mises en examen par la chambre de l'instruction.

 

Sur ce point, l'article 206 du code de procédure pénale dispose que : « Sous réserve des dispositions des articles 173-1, 174 et 175, la chambre de l'instruction examine la régularité des procédures qui lui sont soumises. Si elle découvre une cause de nullité, elle prononce la nullité de l'acte qui en est entaché et, s'il y échet, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure [...] ». Or, dans l'affaire qui nous occupe, la chambre de l'instruction avait prononcé la nullité de mises en examen sans avoir invité toutes les parties à présenter leurs observations. Pouvait-elle agir de la sorte ? La Cour de cassation répond à cette interrogation par la négative. Elle censure l'arrêt de la chambre de l'instruction en se fondant sur les articles 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 174 et 206 du code de procédure pénale. Cette chambre de l'instruction ne pouvait pas procéder à de telles annulations « sans avoir permis aux parties d'en débattre ».

 

Cette solution n'est guère surprenante. Elle transparaît d'ailleurs dans d'autres décisions (Crim. 19 sept. 2006, n° 05-85.941, D. 2006. 3045, note G. Royer ; ibid. 2007. 973, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2006. 451, obs. C. Girault ; RSC 2007. 113, obs. A. Giudicelli. Dans un sens proche, Crim., 3 mai 2007, n° 06-82.149, D. 2007. 1663 ; AJ pénal 2007. 333 ; RSC 2007. 836, obs. R. Finielz). Cela va dans le sens de la préservation des droits des parties civiles.

 

Notons que cette cassation ne remettait pas en cause l'annulation des mises en examen de MM. C. et V., sur le fondement de l'article 116 du code de procédure pénale qui prescrit, pour mémoire, au juge d'instruction de faire connaître expressément à la personne entendue en première comparution « chacun des faits dont il est saisi et pour lesquels la mise en examen est envisagée », avec l'indication qu'il doit « préciser » leur qualification juridique. En l'espèce, les mises en examen avaient été annulées par la chambre de l'instruction en raison de l'indétermination temporelle et juridique des faits visés.

 

Cependant, la Cour de cassation censure également cette solution sur le même fondement de l'article 116 en estimant que les demandeurs à la requête en nullité avaient été mis en examen avec indication des qualifications juridiques commandées par les textes applicables « pour avoir, le premier de 1971 à 1994, le second de 1979 à 1994, en tout cas depuis temps non prescrit, involontairement causé la mort de 23 salariés et occasionné des blessures involontaires à 10 salariés de la société E., nommément désignés ». De la sorte, la Cour de cassation considère que l'obligation mentionnée par l'article 116 du code de procédure pénale avait été respectée. La nullité des mises en examen ne pouvait alors se justifier.

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10 décembre 2012 1 10 /12 /décembre /2012 14:21

La Chambre criminelle de la Cour de cassation avait à statuer sur deux questions prioritaires de constitutionnalité transmises par une ordonnance du premier président de la cour d'appel de Metz, en date du 23 mars 2012, dans une procédure ayant autorisé l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles concernant la société B. dans le secteur de la commercialisation des couteaux à usage industriel.

 

La première question était relativement longue : « L'article L. 450-4, alinéa 1, 2, 8, 9 et 10, du code de commerce est-il contraire à la Constitution, au regard de l'article 1er du préambule de la Constitution de 1946, du principe fondamental reconnu par les lois de la République de respect des droits de la défense, du droit de propriété et du droit au secret de la vie privée :

 

- en ce qu'il ne circonscrit pas les mesures de saisie pouvant être réalisées, sur autorisation judiciaire, par les agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce à la seule saisie des pièces et documents se rapportant aux agissements visés dans la requête et l'ordonnance,

 

- ne prévoit pas la possibilité à l'occupant des lieux ou à son représentant, contrairement aux dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale, de prendre connaissance des critères de choix des documents,

 

- ne prévoit pas l'obligation de provoquer, préalablement à la saisie des documents, toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense,

 

- en conséquence, permet aux agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce de saisir des documents de nature personnelle, confidentielle, ou couverts par le secret professionnel ? »

 

La seconde question avait, quant à elle, le contenu suivant : « L'article L. 450-4, alinéa 2, du code de commerce est-il contraire aux objectifs à valeur constitutionnelle de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, en ce qu'il ne précise pas, selon que l'on recherche ou non la preuve d'une infraction en train de se commettre :

 

- si l'infraction n'est pas en train de se commettre, les cas précis dans lesquels cette autorisation peut être accordée, le texte prévoyant seulement que le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée, sans autre précision,

 

- si l'infraction est en train de se commettre, la notion d'indices permettant au juge des libertés et de la détention d'autoriser une telle mesure ? »

 

La Chambre criminelle décide qu'il n'y a pas lieu de renvoyer ces questions au Conseil constitutionnel.

 

L'article L. 450-4 du code de commerce régit dans notre droit les visites domiciliaires et les saisies en matière de concurrence. Il dispose ainsi que « les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter [...] ». La suite de l'article encadre la procédure en question. Cette disposition légale est aujourd'hui, bien connue et ses évolutions, à la suite du célèbre arrêt Ravon (CEDH 21 févr. 2008, Ravon c/ France), par l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 et la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, ont donné lieu à de multiples commentaires.

 

Malgré les progrès de son contenu, et notamment le fait que l'ordonnance du JLD autorisant la visite « peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure », l'article L. 450-4 du code de commerce faisait ici l'objet de deux questions prioritaires de constitutionnalité par l'intermédiaire desquelles il lui était reproché d'être contraire au respect des droits de la défense, du droit de propriété et du droit au secret de la vie privée, mais aussi aux objectifs à valeur constitutionnelle de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

 

La Chambre criminelle ne l'entend cependant pas ainsi (pour d'autres non-lieu à renvoi de QPC formées contre cet article, Crim. 15 juin 2010, n° 10-80.018 et n° 09-86.073 ; Crim. 22 sept. 2010, n° 10-90.099). En premier lieu, et sans surprise, elle déclare que les questions, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles. En second lieu, elle estime que ces questions ne présentent pas un caractère sérieux dans la mesure où l'article L. 450-4 prévoit un contrôle effectif du juge concernant les visites et saisies (pour un exemple récent, Crim. 11 janv. 2012, n° 10-85.446). En effet, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter assure un contrôle effectif de la nécessité de chaque visite, tout en suivant et réglant les éventuels incidents. L'article L. 450-4 est, sur ces points, très clair : « Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée [...]. La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention [...]. Le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé ces dernières, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale [...]. L'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation [...] ». Cet encadrement légal peut donc jouer, pour les juges de la Haute juridiction, à l'égard de la saisie, par l'administration, de documents de nature personnelle, confidentielle ou couverts par le secret professionnel. Il constitue un utile « garde-fou ». Il était rappelé enfin que le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance peut décider, à tout moment, la suspension ou l'arrêt de la visite.

 

Devant tant de garanties, il n'était pas possible pour les magistrats d'affirmer que l'article L. 450-4 du code de commerce méconnaît les droits et les objectifs à valeur constitutionnelle précités. La Chambre criminelle déclare alors qu'il n'y a pas lieu de renvoyer ces questions au Conseil constitutionnel.

 

Cette solution emporte notre conviction. Elle rejoint d'ailleurs d'autres décisions dans lesquelles la Cour de cassation a également refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel des QPC portant sur le même article, au motif que la question ne « présente pas un caractère sérieux, dès lors que les dispositions contestées de l'article L. 450-4 du code de commerce assurent un contrôle effectif par le juge, de la nécessité de chaque visite et lui donne les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, de régler les éventuels incidents et, le cas échéant, de mettre fin à la visite à tout moment » (Crim. 1er déc. 2010, n° 10-80.016 et n° 10-80.017 ; Crim. 9 mars 2011, n° 10-85.310 ; Dans un sens proche, Crim. 19 oct. 2011, n° 10-88.197 et 10-88.194). La décision étudiée témoigne alors du caractère bien établi de cette jurisprudence.

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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 14:19

Quelles doivent être les limites - mais en faut-il ? - sous-tendues par la notion de « sanction cruelle et inhabituelle » contenue dans le 8e amendement à la constitution des États-Unis en matière de peines applicables aux mineurs de dix-huit ans ? C'est la question à laquelle devait répondre la Cour Suprême des États-Unis dans le récent arrêt Miller c/ Alabama. La Cour Suprême devait traiter de deux affaires, l'une relative à l'Alabama, l'autre relative à l'Arizona. Les deux affaires concernaient un jeune garçon de quatorze ans, ayant commis un meurtre et contre lequel avait été prononcée une peine de réclusion criminelle à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle (Life without parole - ci-après LWOP). Une telle peine signifiait pour eux qu'ils seraient détenus jusqu'à leur mort, à moins de bénéficier d'une grâce présidentielle, ce qui ne se produit en pratique quasiment jamais. Dans les deux affaires, aucune autre peine ne fût envisagée, car la LWOP était obligatoire dans les systèmes juridiques des deux États concernés.

 

Pour statuer dans ces dossiers, la Cour Suprême devait prendre en compte deux importants précédents. Dans l'arrêt Roger c/ Simons (543 U.S. 551 (2005)), elle avait récemment décidé que la peine de mort était inconstitutionnelle dans le cas des mineurs, même lorsqu'ils avaient été condamnés pour des meurtres particulièrement graves. Dans cette affaire, toutefois, la Cour n'examina pas attentivement la constitutionnalité de la seule alternative possible, aux termes de la loi, c'est-à-dire la LWOP. Par la suite, toutefois, dans Graham c/ Floride (560 U.S. (2010)), elle devait retenir que la LWOP était une peine dont la sévérité était disproportionnée s'agissant de mineurs ayant commis des infractions autres que des meurtres, en sorte qu'elle ne devrait jamais être prononcée dans de tels cas. Dans ces deux affaires, la Cour s'était abondamment appuyée sur le fait que les mineurs n'étaient pas aussi matures que les adultes et qu'il existait de ce fait toujours la possibilité qu'ils puissent un jour changer et mener une vie honnête. De plus, la Cour devait arguer de ce que la LWOP était tout particulièrement sévère envers les mineurs, dès lors qu'elle avait pour conséquence que, puisqu'ils ne pourraient jamais être libérés, ils passeraient plus d'années en prison que des adultes condamnés à la même peine. Dans Graham, la Cour devait également relever que, dès lors que la peine de mort avait bel et bien été abolie pour les meurtres, la réclusion criminelle à perpétuité constituait désormais la peine maximale pouvant être infligée aux mineurs.

 

Dans Miller c/ Alabama, la Cour Suprême, à la courte majorité de cinq juges contre quatre, a fait progresser d'un cran le droit positif américain. Elle a retenu que les peines de LWOP obligatoires sont inconstitutionnelles, même pour les mineurs condamnés pour meurtre. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s'est appuyée largement sur ses recherches antérieures ayant révélé que les mineurs différaient des adultes, d'une part, en termes de culpabilité, dès lors que leurs compétences morales n'étaient pas à maturation complète et, d'autre part, en termes de capacité à changer et à devenir des adultes susceptibles de mener une vie exempte d'infraction.

 

Le constat des similarités entre la LWOP et la peine de mort a également joué un rôle important, en permettant à la Cour de s'appuyer sur sa propre jurisprudence, dans laquelle elle avait retenu et depuis longtemps, que la peine de mort ne pouvait être prononcée que de manière individualisée, au cas par cas. Dans l'affaire ici commentée, la Cour, raisonnant par analogie, a en effet énoncé que la LWOP ne pouvait être prononcée contre les mineurs qu'après avoir vérifié qu'elle n'était pas, pour l'espèce en cause, disproportionnée par rapport à l'infraction commise. À cette occasion, la Cour a indiqué de manière particulièrement nette que ce serait rarement le cas, ce, précisément, en raison de la moindre culpabilité morale des mineurs. Toutefois, elle a réservé la possibilité de prononcer la LWOP dans des affaires relatives à des meurtres particulièrement graves.

 

Les quatre juges formant la minorité ont émis des critiques cinglantes envers ce qu'ils ont perçu comme constituant une extension illégitime du pouvoir de contrôle de la Cour Suprême sur les États en matière de détermination des peines. Ils ont notamment avancé que, dès lors que les législations des 29 États avaient rendu la LWOP obligatoire pour les mineurs convaincus de meurtre, ceci donnait un signe clair de l'état de l'opinion publique. Ils ont ajouté que la LWOP obligatoire ne saurait être qualifiée de peine « inhabituelle », dès lors que 2500 personnes condamnées pour des meurtres commis avant l'âge de dix-huit ans purgent de telles peines dans les prisons américaines.

 

La divergence de vue apparente entre la majorité et la minorité des juges est révélatrice d'une différence de perception quant au rôle que doit jouer une Cour constitutionnelle dans de tels dossiers. Appartient-il à la Cour de donner le « la » des « standards évolutifs de ce qui est acceptable », ce, en passant l'échelle des peines des États sous les fourches caudines de leur critique analytique ? Ou bien une telle juridiction doit-elle faire de la divination pour tenter d'apprécier quel est l'état de l'opinion publique afin de servir de base à son appréciation de la constitutionnalité des peines litigieuses les plus sévères? La majorité a clairement choisi la première option, à l'évidence la plus rigoureuse.

 

Vue d'Europe, une telle décision peut paraître constituer une bien petite avancée. L'arrêt ici commenté n'interdit même pas de prononcer la LWOP contre des mineurs, alors que la Convention internationale des droits de l'enfant prohibe spécifiquement de telles peines. (Les États-Unis ne sont pas parties à la CIDE, mais ceci n'a pas empêché la Cour Suprême d'y faire référence lorsqu'elle a été confrontée à la peine de mort infligée aux mineurs dans Roger c/ Simmons). Pour autant, du point de vue du droit américain, Miller c/ Alabama constituera à n'en pas douter un important précédent. Non seulement cet arrêt fera resurgir le débat relatif aux peines qu'il convient d'appliquer aux mineurs commettant des crimes graves, mais encore cela devrait conduire à une approche plus critiques quant à la LWOP infligée à des adultes. Ceux-ci, en tant qu'êtres humains, ne devraient pas être laissés sans espoir de voir les efforts d'insertion qu'ils sont susceptibles de faire récompenser par une éventuelle libération. Miller c/ Alabama devrait également donner plus de poids au débat plus général portant sur la proportionnalité des peines. Aux États-Unis, ce débat s'était enlisé depuis le regrettable arrêt de la Cour Suprême ayant retenu que deux peines de réclusion criminelle à perpétuité accompagnées d'une période de sûreté de cinquante ans, imposées en vertu de la fameuse loi « three strikes and you're out » contre une personne ayant dérobé neuf cassettes VHS vierges dans deux magasins différents, n'était pas « grossièrement disproportionnées » au sens constitutionnel du terme (Lockyer c/ Andrade 538 U.S. 63 (2003)).

 

Relevons pour terminer qu'en conclusion à son opinion dissidente dans Miller c/ Alabama, le juge Alito a prévenu que : « Il sera sans doute extrapolé dans des affaires ultérieures sur la base de la décision rendue aujourd'hui. Un tel processus risque au surplus de se poursuivre jusqu'à ce que les pratiques sentencielles s'alignent sur ce que la majorité considèrera être un "standard évolutif de ce qui est acceptable" ».

 

Le juge Alito considère qu'une telle évolution constituerait un abus de pouvoir intolérable de la part de la Cour Suprême. À notre sens, il est plus pertinent de voir dans Miller un développement très positif, dans la mesure où il est porteur de l'espoir que soient in fine abolies aux États-Unis toutes les peines d'une sévérité inacceptable telles que la LWOP.

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2 décembre 2012 7 02 /12 /décembre /2012 21:17

L'affaire portée devant la Cour européenne concerne le suicide d'un détenu par pendaison alors qu'il était placé dans une cellule du quartier disciplinaire. Polytoxicomane et considéré comme « borderline », ce dernier était suivi régulièrement par un psychiatre. Il avait eu à effectuer une première sanction disciplinaire de dix jours en janvier 1999 à la suite d'un incident avec un surveillant. Deux tentatives de suicide plus tard et cinq jours après la mise à exécution de la sanction, un psychiatre nota que l'intéressé évoquait « un passage à l'acte avec velléités suicidaires ». Il était à cette époque en situation de détention provisoire. Le 16 mars 1999, il fut condamné à cinq ans d'emprisonnement. Le 20 mai 1999, il fut à nouveau sanctionné de quinze jours de cellule disciplinaire pour insultes à l'encontre du personnel pénitentiaire, violence envers un codétenu et pour avoir constitué un stock de médicaments. Dès son placement, il multiplia les incidents (bris de vitre et des sanitaires, descellement de la table en béton de la cellule, jet de morceaux de béton contre la fenêtre, bris de la porte de la cabine du parloir lors de la visite de sa soeur). Le 23 mai, un médecin de l'UCSA observa qu'il n'allait pas bien. Le lendemain, lors d'une ronde entre 20 h et 20 h 20, un surveillant indiqua que le détenu se trouvait debout au milieu de sa cellule ; à 21h15, il le trouva pendu à l'aide d'une ceinture en tissu tressé munie d'une boucle métallique d'attache.


Cet arrêt qui soutient une double condamnation de la France, tant sous l'angle de l'article 2 de la Convention que sous celui de l'article 3, met une nouvelle fois en évidence les difficultés de prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux. Il est à rapprocher d'une précédente affaire qui avait également abouti à un constat de violation (CEDH, 16 oct. 2008, n° 5608/05, Renoldec/France, AJDA 2008. 1983 ; D. 2008. 2723, obs. M. Léna ; ibid. 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 41, obs. J.-P. Céré ; RDSS 2009. 363, obs. P. Hennion-Jacquet ; RSC 2009. 173, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 431, chron. P. Poncela). Toutefois, si dans l'affaire Renolde, les troubles psychotiques étaient particulièrement aigus, dans le cas présent, il s'agissait d'un individu diagnostiqué par les médecins comme présentant un état « borderline ». Concernant tout d'abord l'article 2 de la Convention, la Cour rappelle que les détenus sont d'une façon générale en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger. Lorsqu'ils sont atteints de troubles mentaux, c'est de leur particulière vulnérabilité dont il faut tenir compte. Ce faisant, il s'agissait de savoir si l'État avait pris ici toutes les mesures requises pour empêcher que la vie du requérant soit mise en danger. Il convenait donc, au préalable, de déterminer si les autorités connaissaient ou étaient en mesure de connaître un risque réel et immédiat de suicide du détenu. Dans ce dernier cas de figure, toutefois, la Cour n'impose jamais « aux autorités un fardeau insupportable ou excessif » et leur devoir de protéger la vie ne saurait aboutir à une obligation de résultat (par ex. CEDH, 1er juin 2006, n° 39922/03, Taïs, AJ pénal 2006. 403, obs. C. Saas). Il n'était pas contestable que dès son incarcération l'intéressé avait rencontré des médecins généralistes et des spécialistes et qu'il avait fait l'objet d'une prise en charge psychiatrique. Néanmoins, la Cour constate la présence d'un risque suicidaire connu des autorités pénitentiaires. Ses précédentes tentatives de suicide et son comportement à l'origine de la sanction disciplinaire aurait dû les alerter. Il « permettait tant aux autorités pénitentiaires qu'au personnel médical de constater son état critique, que le placement en quartier disciplinaire n'a fait qu'aggraver » (§94). En outre, la Cour relève que les autorités n'ont mis en place aucune mesure spéciale, « telle une surveillance appropriée ou encore une fouille régulière qui aurait permis de trouver la ceinture avec laquelle il s'est suicidé ». Concernant ensuite l'article 3 de la Convention, la Cour rappelle encore que pour apprécier si le traitement de la sanction est incompatible avec les exigences de l'article 3, « il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, des effets d'un traitement donné sur leur personne ». L'exécution d'une sanction en cellule disciplinaire est un élément dirimant pour en juger et la Cour considère dans cet arrêt qu'un tel placement, pendant quinze jours, n'était justement pas compatible avec le niveau de traitement exigé à l'égard d'une personne atteinte de tels troubles mentaux alors que cette mesure a été maintenue, malgré l'aggravation préoccupante de l'état psychique du détenu (V. déjà pour un placement au quartier disciplinaire, CEDH, 16 oct. 2008, Renolde c/ France, préc. ; 3 avril. 2001, Keenan c/ RU. Adde pour un maintien en détention normale, CEDH, 11 juill. 2006, Riviere c/ France). Il faut percevoir au final dans cet arrêt la nécessité pour le législateur d'oeuvrer pour l'ouverture d'un droit de recours réel et effectif pour les détenus placés au quartier disciplinaire (Pour la violation de l'art. 13, CEDH, 20 janv. 2012, Payet c/ France ; CEDH, 3 nov. 2011, n° 32010/07, Cocaignc/France, D. 2012. 1294, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2011. 605, obs. J.-P. Céré ; RSC 2012. 208, chron. P. Poncela ; ibid. 263, obs. J.-P. Marguénaud ; CEDH, 10 nov. 2011, Plathey c/ France), qui puisse offrir une sortie procédurale du quartier disciplinaire plutôt qu'une issue fatale ; cette dernière a amené la Cour à octroyer 40 000 € de satisfaction équitable aux soeurs du requérant.

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